Grand angle

Jean Béliveau, acteur, auteur et lecteur

Robert Charlebois a déjà dit que Demain l’hiver était la chanson qui l’avait défini comme auteur-compositeur-interprète. Il n’allait pas être Claude Nougaro ou Léo Ferré : il allait être lui-même, Robert Charlebois. Et chanter son pays, sa ville, dans leur accent propre.

Jean Béliveau, les pieds dans slotche, un transfert entre les dents : difficile de faire plus montréalais que ça. Ou, par courte extension, plus québécois. Demain l’hiver… sans Jean Béliveau, dont l’art a illuminé les arénas du Québec, puis ceux de l’Amérique du Nord, pendant plus de 25 ans. De Victoriaville à Los Angeles, de Québec à Montréal (par la 2) où il a fait vibrer le Forum pendant 18 hivers.

Demain l’hiver, bien sûr, est la première œuvre hors glace qui nous vient à l’esprit quand on pense à l’ancien capitaine du Canadien, mort mardi à 83 ans. Au sens premier, la culture de Jean Béliveau était celle du travail et de l’abnégation, de l’entraide et du partage : peu de sportifs québécois ont appuyé des œuvres caritatives avec autant de constance dans la durée. À l’image de la carrière professionnelle du grand joueur qu’il a été.

L’empreinte de Jean Béliveau dans la culture populaire, par ailleurs, nous fait voir d’autres aspects de la personnalité de cet homme d’exception qui, s’il l’avait voulu, serait devenu gouverneur général du Canada.

Déjà en 1956, Denise Émond – la Ti-Mousse du duo Ti-Gus et Ti-Mousse, qu’elle formait avec Réal Béland, le père de l’humoriste du même nom – avait lancé un 78-tours intitulé La chanson des étoiles du hockey/The Song of Jean Béliveau. « J’adore Jean Béliveau/Il est grand, il est costaud/Quand il fait une montée/Je me mets à turluter. »

Au cinéma, on peut voir Jean Béliveau, notamment, dans Here’s Hockey, un court métrage documentaire de l’ONF réalisé par Leslie McFarlane en 1953, l’année où Béliveau est arrivé à Montréal. Le film le montre toutefois en action l’année précédente dans l’uniforme des As de Québec de la ligue sénior du Québec… où il gagnait plus d’argent que Maurice Richard avec le Canadien de la Ligue nationale. Jean Béliveau était un homme d’affaires très cultivé.

En 2009, à l’occasion du 100anniversaire du Club de hockey Canadien, M. Béliveau a joué son propre rôle dans le film de Sylvain Archambault Pour toujours, les Canadiens !, dans lequel on voit aussi Jean Lapointe, Claude Legault et Céline Bonnier.

Chose assez rare, Jean Béliveau a participé à deux ouvrages sur sa vie et sa carrière. À 35 ans d’intervalle… En 1970, un an avant que « le grand Jean » ne mette fin à sa carrière, le Montréalais Hugh Hood a fait paraître Strength Down Center – The Jean Béliveau Story, publié deux ans plus tard en traduction aux Éditions de l’Homme (Puissance au centre).

Avec Chrystian Goyens et Allan Turowetz, Béliveau a fait paraître en 2005 chez Hurtubise HMH ses véritables mémoires sous le titre Ma vie bleu-blanc-rouge. Dans le dernier chapitre, intitulé Mon patrimoine, il explique entre autres choses pourquoi il n’y a pas de musée du sport à Montréal et comment la vente aux enchères de ses souvenirs sportifs lui a rapporté quelque 960 000 $, dont 69 000 $ pour sa bague de la Coupe Stanley de 1959.

Jean Béliveau apparaît bien sûr dans de nombreux autres ouvrages. Dans Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey (VLB, 1987), Marc Robitaille fait dire à son père : « Quand les Canadiens sont en train de perdre (…), Jean Béliveau va pas laisser faire ça. » Ce qui s’est souvent avéré.

Dans son livre 40 ans avec le Canadien (écrit avec Guy Robillard, Éditions du Carré, 2008, avec une préface de… Jean Béliveau), Gilles Tremblay, mort la semaine dernière, dit pour sa part de son ancien compagnon de trio : « Béliveau a toujours été comme on l’a connu : un monsieur, racé et distingué, plus cultivé et curieux que la moyenne des joueurs de son époque. »

Quand, dans le train, ses coéquipiers jouaient aux cartes, « le gros Bill » lisait. Des romans Marabout souvent, car le distributeur Dimitri Kazanovitch l’avait « recruté » alors qu’il jouait encore au hockey junior avec les Citadelles de Québec.

Le site internet L’Oreille tendue de Benoît Melançon nous montre Béliveau, devenu mégastar du Canadien, dans une pub de Marabout de 1958.

Lisait-il aussi des Bob Morane ? Probablement. Chose certaine, il a déjà rencontré Henri Vernes, le « père » du héros au regard d’acier. Joint hier à Bruxelles, le célèbre auteur nous a raconté sa rencontre avec le grand hockeyeur.

« Au début des années 60, je suis allé au Québec pour Bob Morane, et mon guide était le père Ambroise Lafortune. Nous étions allés partout : dans le Grand Nord, chez les Indiens et au Forum de Montréal pour un match des Canadiens contre les Maple Leafs de Toronto. Là, on m’avait présenté à Jean Béliveau, qui m’avait offert sa crosse dédicacée.

« Comme je ne pouvais pas l’emporter dans l’avion, je l’avais offerte au fils de M. Kazan, le directeur de Marabout au Canada. J’ignore ce qu’il est advenu de cette crosse. »

Où qu’elle soit, elle vaut beaucoup d’argent... Comme le roman de Bob Morane qu’Henri Vernes a dédicacé à Jean Béliveau il y a 50 ans.

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